Définition
En application des principes dont s'inspirent les articles 1792 à 1792-5 du code civil, est susceptible de voir sa responsabilité engagée de plein droit, avant l'expiration d'un délai de dix ans à compter de la réception des travaux, à raison des dommages qui compromettent la solidité d'un ouvrage ou le rendent impropre à sa destination, toute personne appelée à participer à la construction de l'ouvrage, liée au maître de l'ouvrage par un contrat de louage d'ouvrage ou qui, bien qu'agissant en qualité de mandataire du propriétaire de l'ouvrage, accomplit une mission assimilable, ainsi que toute personne qui vend, après achèvement, un ouvrage qu'elle a construit ou fait construire.
L'action en garantie décennale n'est ouverte au maître de l'ouvrage qu'à l'égard des constructeurs avec lesquels il a été lié par un contrat de louage d'ouvrage
■ ■ ■ Désordres esthétiques. Ne sont pas réparables dans ce cadre les désordres purement esthétiques qui ne nuisent pas à la solidité de l'ouvrage (Cass. civ. 3, 13 février 1991).
Le cas des travaux de peinture : les peintures ayant un rôle purement esthétique, elles ne constituent pas un "ouvrage" ni un "élément d'équipement" au sens du Code civil (Cass. civ. 3, 27 avril 2000, n° 98-15970 ; Cass. civ. 3, 16 mai 2001, n° 99-15062). Ainsi, en cas de travaux de peinture mal exécutés, il convient de se tourner vers le régime de la responsabilité contractuelle.
Toutefois, le Conseil d'Etat apprécie les conséquences liées aux malfaçon des travaux de peinture sur la destination de l'ouvrage. Par exemple, le décollement du revêtement en résine de synthèse s'était révélée la présence de poussières de béton et que, par son importance, ce désordre, appelé à se généraliser à toute la surface de l'atelier, était de nature à rendre l'ouvrage impropre à sa destination (CE, 11 juill. 2001, n° 214206) ; tel n'est pas le cas de simples peinture extérieure des huisseries d'un bâtiment (CE, 18 juin 1997, n° 126612)
■ ■ ■ Qualification du contrat de louage d'ouvrages. Alors même qu'une convention d'assistance administrative, financière et de conduite d'opération écarte expressément la qualification de contrat de louage d'ouvrage, cette convention peut constituer un contrat de louage d'ouvrage au sens des principes dont s'inspirent les articles 1792 à 1792-5 du code civil (CE, 21 février 2011, Centre hospitalier de l'ouest guyanais, n° 330515).
Responsabilité décennale des constructeurs
Il résulte des principes dont s'inspirent les articles 1792 et 2270 du code civil que des dommages apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent la responsabilité des constructeurs sur le fondement de la garantie décennale, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans (CE, 11 déc. 2013, n° 364311)
■ ■ ■ Vices apparents au jour de la réception. La garantie décennale ne joue pas lorsque les vices sont apparents lors de la réception des travaux. L'apparence des vices peut toutefois être déduite de leur connaissance. Les désordres affectant les parties d'un terrain de golf recouvertes de gazon connus du maître d'ouvrage doivent être regardés comme apparents, nonobstant la présence d'une couverture végétale lors des opérations de réception (CE, 28 janvier 2011, Syndicat intercommunal d'études et de programmation pour l'aménagement de la région grenobloise, n° 330693, T. Lebon).
■ ■ ■ Dommages résultant de travaux réalisés dans un immeuble voisin de celui objet du marché. La responsabilité décennale n’est engagée que pour les vices qui ont soit rendu l’immeuble objet du marché impropre à sa destination, soit compromis sa solidité.
En l’espèce, les désordres incriminés survenus dans les appartements d’un immeuble voisin, bien que provenant de travaux compris dans le marché, n’affectaient pas toutefois l’immeuble objet du marché et ne le rendaient pas impropre à sa destination. Dès lors, ces dommages n’étaient pas au nombre de ceux dont réparation pouvait être demandée en vertu des principes énoncés aux articles 1792 et 2270 du code civil. La Compagnie n’était ainsi pas fondée à rechercher la responsabilité des constructeurs au titre de la responsabilité décennale (CAA Paris, 13 novembre 2007, COMPAGNIE ALBINGIA, n° 05PA02385, Tables Lebon).
■ ■ ■ Normes de sécurité. Un défaut de conformité d'un établissement recevant du public aux normes de sécurité applicables à la date de sa construction constitue un désordre susceptible d'engager la responsabilité décennale des constructeurs (CE, 23 juill. 2010, INSTITUT MÉDICO-ÉDUCATIF DE SAINT-JUNIEN, n° 315034).
De la même manière, toute non conformité aux normes de sécurité apparue suite à la réception sans réserve des travaux et rendant celui-ci impropre à sa destination, engage la responsabilité décennale des constructeurs (CAA de Bordeaux, 13 septembre 2018, n° 15BX02772).
■ ■ ■ Dommages évolutifs. Les dommages apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent la responsabilité des constructeurs sur le fondement de la garantie décennale, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans (CE, 31 mai 2010, Cne de Parnes, n° 317006). De la même façon, dès lors que le processus d’aggravation d'un phénomène d'altération de l'ouvrage était inévitable, il engage bien la responsabilité des constructeurs, et ce même s’il n’aboutit à compromettre la solidité de celui-ci qu’après l’expiration du délai (CE, 15 juin 2018, n° 417595).
■ ■ ■ Travaux de réfection. La responsabilité décennale d'un constructeur peut être recherchée à raison des dommages qui résultent de travaux de réfection réalisés sur les éléments constitutifs d'un ouvrage, dès lors que ces dommages sont de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination (CE, 11 déc. 2013, n° 364311)
■ ■ ■ Prescription de l'action en garantie décennale. Dans le cadre de l'apparition de désordres postérieurement à la réception des travaux, la saisine du juge des référés par le maitre d'ouvrage, en vue de la désignation d'un expert, interrompt la prescription de la garantie décennale en application de l'article 2244 du code civil (CE, 5 octobre 2015, n° 383814).
■ ■ ■ Equipements de l'ouvrage. La Cour de Cassation a jugé que les désordres affectant des éléments d’équipement, dissociables ou non, d’origine ou installés sur existant, relèvent de la responsabilité décennale lorsqu’ils rendent l’ouvrage dans son ensemble impropre à sa destination (Cour de Cassation 15 juin 2017 n°16-19.640).
■ ■ ■ Responsabilité décennale et réception avec réserves. En cas de réception avec réserves, la garantie décennale ne peut être invoquée par le maître d'ouvrage sur les parties d'ouvrage ayant fait l'objet de ces réserves. Dans ce cas, les relations contractuelles se poursuivent jusqu'à la levée des réserves (CAA de Nantes, 24/11/2017, n° 16NT01776).
■ ■ ■ Interruption du délai et champ des mesures d'expertise judiciaire. La jurisprudence reconnaît classiquement que l'introduction d'un référé expertise donnant lieu à la désignation d'un expert judiciaire dans le cadre d'une recherche de responsabilité décennale des constructeurs interrompt le délai de prescription uniquement pour les désordres identifiés. Le fait d'indiquer dans la mission de l'expert que celui-ci doit "visiter les lieux et constater les désordres ", " décrire la nature en indiquant la date à laquelle ils sont intervenus et en donnant tous les éléments de fait permettant d'apprécier s'ils rendent l'ouvrage impropre à sa destination ou en affectent la stabilité " et " d'en rechercher leurs causes" ne limite pas le champ de l'expertise et interrompt le délai de prescription pour tous les points défaillants de l'ouvrage (Conseil d'Etat 26/07/2018 n° 411676).
■ ■ ■ Responsabilité décennale et location de bâtiments. La garantie décennale ne s'applique pas à des bâtiments modulaires, mis à disposition de la personne publique par le biais d'un marché de location. En effet, que la location de bâtiments, faisant donc l'objet d'un marché de fourniture (art. 5 de l'ordonnance du 23 juillet 2015), ne permet pas de qualifier ces bâtiments d'ouvrage et exclue donc l'application d'une garantie décennale, un ouvrage n'étant pas en cause (Réponse du Ministère de l'intérieur du 19/07/2018 à la question écrite n° 02329).
■ ■ ■ Responsabilité décennale des sous-traitants. Dans le cadre d'un référé expertise, la responsabilité des sous-traitants peut être recherchée au même titre que celle du titulaire du marché, à condition que la demande soit introduite avant l'expiration du délai de la garantie décennale (Conseil d'Etat, 26/07/2018, n° 415139).
■ ■ ■ Sous-traitant - Responsabilité du MOA. Lorsque que, dans le délai de la garantie décennale, des désordres peuvent être observés, il est possible de rechercher la responsabilité décennale de la société s'étant vu confier l'étude et la rédaction du cahier des charges, ainsi que la direction des travaux, mais également la société en charge de la mise en oeuvre des installations (en l'espèce installations de pompe), même si celle-ci n'a pas commis de faute personnellement car elle avait fait appel à un sous-traitant pour cette mise en place.
Cette responsabilité vis-à-vis du maître d'ouvrage ne peut être atténuée dès lors qu'aucune faute ne lui est imputable, et notamment qu'il n'est pas intervenu dans les activités (conception, direction des travaux, etc.) ayant conduit aux désordres (CAA Bordeaux, 14 novembre 2019, n°17BX00935, 17BX01085)
■ ■ ■ Condamnation solidaire. Lorsque l'une des parties à un marché de travaux a subi un préjudice imputable à la fois à l'autre partie (maître d'ouvrage), en raison d'un manquement à ses obligations contractuelles, et à d'autres intervenants à l'acte de construire (maître d'oeuvre), au titre de fautes quasi-délictuelles, elle peut demander au juge de prononcer la condamnation solidaire de l'autre partie avec les coauteurs des dommages. En revanche, ces derniers ne peuvent être rendus solidairement débiteurs de sommes correspondant à des préjudices qui ne leur sont aucunement imputables non plus que de sommes figurant dans le décompte général ne présentant pas de caractère indemnitaire. (CE, 27/06/2018, n° 409608)
Responsabilité décennale du fournisseur
Aux termes de l'article 1792-4 du code civil : « Le fabricant d'un ouvrage, d'une partie d'ouvrage ou d'un élément d'équipement conçu et produit pour satisfaire, en état de service, à des exigences précises et déterminées à l'avance, est solidairement responsable des obligations mises par les articles 1792, 1792-2 et 1792-3 à la charge du locateur d'ouvrage qui a mis en oeuvre, sans modification et conformément aux règles édictées par le fabricant, l'ouvrage, la partie d'ouvrage ou élément d'équipement considéré ».
■ ■ ■ Responsabilité du fabriquant. La Cour, pour la première fois, a prononcé la condamnation d’un fournisseur au titre de cette garantie, admettant que le maître d’ouvrage puisse rechercher la responsabilité décennale du fabricant bien qu’il ne soit pas lié par un contrat avec ce dernier (CAA Paris, 9 juillet 2009, SOCIÉTÉ INEO EI-IDF, N° 08PA02756, Tables Lebon).
Le fournisseur n’est pas à proprement parler un constructeur ; sa responsabilité décennale n’est donc pas engagée sur le fondement de l’article 1792-1, comme tel est le cas pour les constructeurs, mais sur l’article 1792-4
Le Conseil d’Etat avait admis la responsabilité civile décennale d’un fournisseur en recourant à la notion de stipulation pour autrui (CE, Commune de Bresse, 20 décembre 1989, n° 50815 ).
■ ■ ■ Utilisation d'un matériau. Tout en rappelant que le maitre d'ouvrage est fondé à engager "la responsabilité solidaire du fabricant d'un ouvrage, d'une partie d'ouvrage ou d'un élément d'équipement conçu et produit pour satisfaire, en état de service, à des exigences précises et déterminées à l'avance", le Conseil d'Etat a considéré que le simple emploi d'un matériau (stabilisant de sols en l'espèce) ne pouvait être "qualifié d’ouvrage, de partie d’ouvrage, ou d’élément d’équipement" (CE, 21 octobre 2015, n° 385779).
Responsabilité décennale des AMO
Considérant qu'il résulte de l'instruction que le contrat conclu par la commune de Rennes-les-Bains avec M. B...prévoit, à l'article 1er de l'acte d'engagement et cahier des clauses administratives que " la mission ainsi confiée exclut formellement tout mandat de représentation du maître d'ouvrage dans l'exercice de ses prérogatives " ; que son article 2 précise que l'assistant au maître d'ouvrage " est l'interlocuteur direct des différents participants (...). Il propose les mesures à prendre pour que la coordination des travaux et des techniciens aboutisse à la réalisation des ouvrages dans les délais et les enveloppes financières prévus et conformément au programme approuvé par le maître d'ouvrage. Il vérifie l'application et signale les anomalies qui pourraient survenir et propose toutes mesures destinées à y remédier (...) Pendant toute la durée des travaux, l'assistant au maître d'ouvrage assiste le maître d'ouvrage de sa compétence technique, administrative et financière pour s'assurer de la bonne réalisation de l'opération. A ce titre : il a qualité pour assister aux réunions de chantier, il fait toutes propositions au maître d'ouvrage en vue du règlement à l'amiable des différends éventuels (...) " ; que son article 3 relatif au contenu, à la définition et au phasage de la mission confie notamment au cocontractant une mission de direction de l'exécution des travaux et d'assistance aux opérations de réception ; qu'il résulte de l'ensemble de ces stipulations que le contrat conclu entre la commune et M. B...revêt le caractère d'un contrat de louage d'ouvrage et la qualité de constructeur doit être reconnue, dans la présente espèce, non seulement aux sociétés OTCE Languedoc Roussillon et Cegelec Perpignan, respectivement maître d'oeuvre et entrepreneur ayant réalisé les travaux, mais aussi à M. B (CE, 9 mars 2018, n° 406205)